Maraude avec les Compagnons de la Nuit

Quelques Voisins de Jardin ont accompagné Les Compagnons de la Nuit, association bénéficiaire des Artdineries 2015, lors d’une de leurs maraudes à Lorient. Valérie les a accompagnés. Elle livre son témoignage.

« Mardi 10 mars, un soir de fin d’hiver, une météo paisible… Nous sommes allés déambuler avec les Compagnons de la nuit. Ils sont six volontaires à arpenter ce soir-là les rues de Lorient dans une camionnette blanche chargée à bloc de victuailles, vêtements et couvertures. Trois affranchis de la rue et trois novices. Une drôle d’équipe… Michèle, 100% conviviale, Serge, l’observateur discret, Dominique, l’expert de la rencontre. Tout les trois ont cette envie de transmettre l’art du maraudage aux lycéens qui les accompagnent pour la première fois, ce jour-là, dans leur périple nocturne. Steven, Lucile, Théo, 16 ans à peine, internes à Saint-Jo, trois copains curieux du monde de l’autre, de la vie d’à côté. Ils ont les yeux qui pétillent, qui brillent, entre l’envie de découverte et un rien de fébrilité semble-t-il !

Premier arrêt à la boulangerie pour récupérer des invendus à redistribuer, puis direction la gare. Une cantine éphémère s’improvise sur un coin de trottoir comme un signal faible lancé dans la nuit : du café chaud, des soupes, des sandwiches, des viennoiseries… Les âmes de l’ombre s’approchent, se racontent, se rencontrent. Des hommes, des femmes, un couple d’amoureux qui résistent à la rue, c’est là toute leur richesse ! Un bivouac organisé où plane un esprit de convivialité orchestré par des compagnons bienveillants qui en savent long sur le monde de la rue. Ils ménagent la dignité de chacun et distribue avec parcimonie leurs victuailles et leur écoute attentive. Le pâté Hénaff, au milieu de tout ça, fait office de lubrifiant social. Une nécessité pour les uns, un prétexte pour d’autres quand, au_delà de la faim, l’isolement les tenaille.
La camionnette reprend la route. Passage au centre-ville. Là, on y retrouve le philosophe. Lui ne nous attend pas mais il nous accueille. Lui, vit dans la rue, la même, depuis longtemps. Un SDF, un vrai, à un paradoxe près : un sans domicile fixe qui, pourtant, évolue dans un rayon de moins de 200 mètres, la nuit sous un porche, le jour sur la place d’en-face. Il veille sur ses trésors, deux énormes sacs qui semblent contenir toutes ses vies, un passé qu’il n’évoque pas. Il vit dans le présent, regarde discrètement le monde déambuler sous ses yeux, s’attache à ne pas gêner, ne pas inquiéter, ne pas attirer la compassion dégradante des passants. Il ne mendie pas, question de déontologie, il ne boit pas, sinon du café, il lit… Il lit quand il peut, quand il pleut peut-être. Oui parce qu’en journée, les jours d’affluence, il évite de rester immobile les yeux baissés sur un bouquin… On pourrait le croire mort, voilà son souci…

Plus loin, une jeune femme et son chien nous attendent. Nous avons rendez-vous, elle vient de le confirmer par téléphone… Du pain pour son chien, c’est la fête ! Des couvertures, quelques habits, un peu de chocolat. Les jeunes compagnons l’escortent jusqu’à chez elle. Elle a un habitat, mais semble-t-il, pas grand chose autour, des petits moyens de subsistance et, très certainement, une grande solitude. C’est ça et beaucoup ça que l’on rencontre ce soir-là. Un toit ne suffit pas. Une place sociale, un objectif, représenter un intérêt pour quelqu’un… Les compagnons, c’est aussi un petit repère dans la vie des exclus parce qu’ici, on peut mourir de l’isolement bien plus facilement qu’on meurt faim. C’est ainsi que la soirée se poursuit : on passe dire bonjour, on prend le temps de discuter, d’écouter, de rire, de la nourriture relationnelle en quelque sorte.

Après ce concentré émotionnel, les jeunes remontent à l’internat. Demain, ils ont cours. L’un sera pompier, l’autre peut-être gendarme, le troisième ne sait pas encore, mais très certainement, cette soirée et d’autres à venir, les guideront dans leurs choix, affûteront leur regard, eux qui ont entamé un voyage au cœur de la vie de ces âmes presque invisibles auxquels ils ont apporté un peu de lumière : les ombres de la nuit… »

Publication originelle sur le site des Artdineries

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